HOMMAGE.
Entre 1997 et 2015, Patrick Pesnot a décrypté les dessous de nombreuses affaires sensibles et autres « cold case ». Son émission hebdomadaire, « Rendez-vous avec X », était diffusée chaque samedi en début d’après-midi sur France Inter. Ce programme atypique, sorte d’ovni radiophonique, revenait sur les coulisses d'affaires diplomatiques, d’État ou d'espionnage. Le succès et la longévité de l'émission sont sans doute dus au dispositif original que le journaliste avait mis en place. Pour l'aider à décrypter ces affaires plus ou moins connues, Patrick Pesnot, ancien de RTL ou d'Europe 1, s’était adjoint les services d’un invité récurrent, un mystérieux « Monsieur X ».
Durant 18 ans, Patrick Pesnot a toujours refusé de dévoiler l’identité de son visiteur du samedi, concédant simplement qu’il s’agissait d’un ancien agent des renseignements, tout en laissant ses auditeurs fantasmer sur la voix rocailleuse de son énigmatique compère. Pour commencer cet article, nous vous proposons de vous replonger dans l'ambiance de ce programme avec un extrait de sa toute première émission.
LES ARCHIVES.
Dans cette archive diffusée sur France Inter le 4 janvier 1997, Patrick Pesnot présentait son interlocuteur anonyme, le baptisant immédiatement « Monsieur X », il le décrivait ainsi : « C'est un homme sans nom, X, appelons-le ainsi Monsieur X. Il n'a consenti à me confier les secrets de son extraordinaire existence que si je garantissais scrupuleusement son anonymat. Et à plusieurs reprises, il a menacé "J'interromprai immédiatement nos entretiens si cette clause n'était pas respectée". Alors que puis-je dire sans trahir cet engagement ? Monsieur X est âgé, il doit avoir entre 70 et 80 ans, mais allez savoir exactement avec ce diable d'homme. Malgré son âge, il donne une incontestable impression de vigueur, de force physique et son regard clair vous transperce. Bref, vous l'aurez compris, le bonhomme n'est pas particulièrement commode et lorsqu'il consent à se livrer, c'est toujours au compte-gouttes ».
Monsieur X prétendait détenir « un certain nombre de secrets sur l'histoire du demi-siècle passé ». Il avait proposé au journaliste de lui dévoiler « l'autre vérité », pas celle des livres d'histoire, mais celle « qu'un petit nombre d'initiés connaît. » « Moi, j'ai le privilège de faire partie de ce cercle », lui avait-il avoué. La magie de « Rendez-vous avec X » pouvait débuter.
Dans la suite de cette archive, Patrick Pesnot expliquait aux auditeurs qu’il l’avait rencontré, « par hasard », quelques mois plus tôt, alors qu’il préparait un documentaire sur l'armistice de 1940 à la bibliothèque de l'Arsenal. Écoutez ci-dessous un passage de leur conversation.
Ainsi, durant près de deux décennies, grâce aux révélations de « Monsieur X », le producteur a réussi à tenir en haleine des milliers d'auditeurs curieux, les guidant dans une traversée du miroir haletante à travers des affaires contemporaines aussi multiples que complexes. Une promesse qu’il aura tenue jusqu’en 2015, date à laquelle Patrick Pesnot annonçait son départ de l’antenne. Pour l’occasion le producteur était venu faire ses adieux dans l’émission de Sonia Devillers. Mais il n’était pas seul, « Monsieur X » l’accompagnait. Et même ce jour-là, malgré les questions pressantes de l’animatrice, ni Patrick Pesnot ni le supposé espion sans âge, dissimulé sous un chapeau à bord épais et de grosses lunettes noires, ne trahiraient leur secret.
Patrick Pesnot et l'émission rendez-vous avec X
2015 - 06:06 - vidéo
Laissons de côté le mystérieux « Monsieur X », dont Le Monde a percé le secret dans un récent article, et concentrons-nous sur un autre secret bien gardé, celui de la fabrication de l'émission. Comment travaillait Patrick Pesnot ? Où trouvait-il ses informations ? Avec qui travaillait-il ? Nous avons mené l’enquête.
Au début de son interview avec Patrick Pesnot, Sonia Devillers mentionnait « la très précieuse Rebecca Denantes » qui travaillait aux côtés du journaliste, une « femme de l'ombre », plaisantait-elle, se demandant si ce nom de famille n'était pas un pseudo...
Rebecca Denantes a bien été l'attachée de production durant 16 ans de « Rendez-vous avec X ». L'attachée de production est la personne la plus proche du producteur présentateur et l'une des plus impliquées dans la réalisation d'une émission de radio.
Un binôme complémentaire
Rebecca Denantes travaille toujours à France Inter, pour l'émission « Affaires sensibles » de Fabrice Drouelle. Cette ancienne étudiante en histoire moderne, passionnée d’actualité, a travaillé aux côtés de Patrick Pesnot de 1999 à 2015.
Son « job », comme elle le nomme, c’était de préparer la documentation de l’émission. Une grande partie de son temps était consacrée à la lecture d’ouvrages sur les sujets à venir. Elle débroussaillait les sujets, déterminait les grands axes, décortiquait la littérature et la presse, pour fournir au producteur la « substantifique moelle » du programme. Charge à lui d’analyser, de synthétiser les informations pour écrire les textes de l’émission.
Discrète, Rebecca Denantes aime pourtant à se définir comme « le bras droit » de Pesnot, se qualifiant volontiers de « recherchiste », une profession qui existe au Canada et qu’elle aurait bien voulu faire reconnaître en France : « Je faisais un peu de l'investigation historique. Une investigation à partir des sources historiques, souvent accessibles », précise-t-elle.
Mais la clé de leur collaboration, c’était une complémentarité rarissime, comme elle l'explique encore : « C'est vrai que lui, il avait l'esprit synthétique, extrêmement synthétique et un flair ! Et puis moi, je cherchais l'info. Je cherchais des extraits de bouquins. On était très complémentaires. On s’entendait très bien dans le travail. », confie-t-elle avec émotion, avant de poursuivre : « On travaillait en binôme, Pesnot adorait écrire ! Il avait une culture encyclopédique ».
Ce qui l'impressionne encore aujourd'hui, c'était son extraordinaire capacité à simplifier les sujets les plus complexes, « À partir de ce que je lui donnais, parfois des notes de 10 ou 15 pages, il arrivait à décrypter la guerre du Liban (1975-1990) ! C’était quand même compliqué ! Il avait un art de la synthèse très impressionnant » ! Elle souligne aussi ce flair incomparable qui lui permettait de dénicher des sujets parfois improbables, souvent méconnus : « C’était un nez, comme dans la parfumerie. » Un flair qui a fait de lui l'un des pionniers des « Cold Case » comme l'a qualifié Yann Chouquet, le directeur adjoint de France Inter dans son hommage au disparu.
L'inventeur du « cold-case » radiophonique
« Souvent on a parlé de sujets, quinze ou vingt ans avant tout le monde ! », précise Rebecca Denantes avec une certaine fierté. Elle cite notamment l’exemple de Pablo Neruda et la récente découverte d’une toxine dans ses restes, une information évoquée dans un article du journal Le Monde du 23 février 2023. « Il y a dix ans, en 2013, on avait fait un « Rendez-vous avec X » là-dessus, parce qu'à l'époque, on en parlait au Chili. Il y avait eu quelques papiers dans la presse chilienne (…) et là, on en reparle. Et nous, ça faisait déjà dix ans qu’on en avait parlé ! »
C’est cette propension de son mentor à « flairer » les affaires qui fascine toujours Rebecca. Elle évoque notamment l’affaire Boulin qu'il avait traitée dès 1997, « à l’époque, personne n’en parlait de Boulin ! », insiste-t-elle. Cet art de l'anticipation, on la doit aussi à leur capacité mutuelle à saisir l’air du temps, tous deux étaient friands des enquêtes publiées dans la presse, « il lisait « Libé », moi « Le Monde ». Elle raconte : « un jour, il m’appelle et il me dit "dans Libé, il y a un papier sur JPK [Jean-Pascal Couraud, dit JPK, un journaliste disparu de manière suspecte en 1997 à Tahiti. On n’a jamais retrouvé son corps. Il était un fervent opposant de l’ancien président de la Polynésie française, Gaston Flosse, suspecté d’avoir commandité sa disparition.]» Cette théorie de la culpabilité du « roitelet de Tahiti », Pesnot l’avait soutenue dans une émission rappelle Rebecca Denantes, « on a fait deux émissions dessus. On en a profité pour refaire un peu l’histoire des essais atomiques ».
Une source d'inspiration
Cette capacité à dénicher des affaires importantes ne passait pas inaperçue, notamment à la rédaction d'Inter. Rebecca Denantes raconte volontiers que c’est d’ailleurs après avoir entendu l’émission sur JPK que Benoît Collombat, l’un des journalistes d’investigation de la station, avait commencé à enquêter sur cette affaire. Rebecca Denantes confie même lui avoir fourni une pièce de l’instruction qu’elle s'était procurée, « parce que moi aussi, parfois, j’appelle les gens », souligne-t-elle, révélant qu’à l’époque, pour la préparation de l’émission, elle avait été en contact avec le frère du disparu et avec le juge d’instruction, « j’avais récupéré le dossier. »
En avance sur l'actualité
Rebecca Denantes explique aussi qu’à travers son émission, Patrick Pesnot traitait des thèmes qui lui tenaient à cœur. Elle cite l’exemple du conflit israélo-palestinien, « les deux dernières émissions de « Rendez-vous avec X », c’était l’histoire des colonies. Comment les colonies s’étaient implantées à travers toute la Cisjordanie. Et ça, c'est un sujet un peu sensible. Et voilà, on a fini là-dessus. On est remonté aux années 60. »
Patrick Pesnot avait également été l’un des premiers à traiter le génocide du Rwanda. Sa proche collaboratrice souligne qu'il n’hésitait pas à revenir sur un sujet des années plus tard, s’il apprenait de nouvelles informations, « nous, on revenait dans l’histoire pour essayer d’expliquer, de contextualiser, sans tomber dans le complotisme. On faisait aussi parfois des erreurs, ça nous est arrivé. Il s’excusait. On n’est pas infaillible ».
Depuis la fin de « Rendez-vous avec X » Rebecca Denantes a régulièrement retrouvé son ancien patron. « La dernière fois que j’avais vu Patrick, c'était en janvier dernier, je lui avais dit "vous vous rendez compte, tous les sujets qu'on pourrait faire, là !" ? À chaque fois, je lui disais qu’il ne se rendait pas compte de ce qu’il avait suscité.» À chaque rencontre, elle lui rappelait à quel point il avait « été un précurseur ».
Un travail titanesque
Durant ces longues années, Rebecca Denantes a joué un rôle-clé, complètement invisible pour les auditeurs. L’un des aspects essentiels de son activité, c’était de vérifier les propos qui seraient tenus dans l’émission, et de les sourcer. Elle souligne encore qu'ils n'étaient pas infaillibles et que Patrick Pesnot prenait toujours des précautions oratoires, « dès qu’il n’était pas sûr, il utilisait le conditionnel. On n’était pas des journalistes d’investigation. »
Ses sources étaient multiples. La plupart du temps, elle travaillait sur ce qu’elle appelle des « sources ouvertes » : des articles de presse ou des ouvrages de références. C’était les débuts d’Internet et ses investigations l’entraînaient déjà sur la toile. Elle raconte qu’à partir des années 2000, elle a consulté des archives déclassifiées pour traiter les affaires américaines. Elle travaillait notamment sur un site qui mettait en libre-accès les archives déclassifiées américaines... Ces documents étaient alors « une source géniale ! », même si elle reconnaît aujourd’hui que la CIA ne se privait pas de noircir certaines parties du texte, « mais en même temps, il y avait quand même des choses.» Elle insiste sur le fait que les Américains avaient « déclassifié toutes leurs archives de leur implication dans la Guerre froide des années 50, 60, 70. Ce que nous, on n'a jamais fait ».
Des espions et des secrets
Plus surprenant, Rebecca Denantes rencontrait parfois de vraies sources, troquant son costume d'assistante pour celui d'enquêtrice. Patrick Pesnot possédait un carnet d’adresses fourni, bien utile pour préparer les sujets. Pour son assistante, c'était capital pour la préparation de l’émission : « Il avait ses sources. Quand il revenait avec des sujets, c'est parce qu'il y avait des gens qui lui servaient des secrets. Il avait lui-même des contacts, il me mettait en relation avec eux ».
Rebecca Denantes révèle que l’émission possédait « deux ou trois sources », qui avaient sans doute inspirées Monsieur X. « On avait deux ou trois anciens gars des services, précise-t-elle, sans dévoiler leurs noms.
Preuve de la qualité de « Rendez-vous avec X », elle se souvient aussi de « cet ancien agent de la DGSE, passionné de l’émission », qui avait demandé à rencontrer Patrick Pesnot. « Lui, à plusieurs reprises, on l’a rencontré aussi, c’est quelqu’un qui avait suivi Al-Qaïda, qui avait fait pas mal de voyages au Pakistan dans les années 2000, il nous a informés aussi ».
Des révélations sous « pressions »
Les informations dévoilées sur certaines affaires, leur ont parfois causé quelques sueurs froides comme le raconte Rebecca Denantes, avec un étonnant flegme. Elle évoque des cas où l’équipe a subi des pressions pour ne pas diffuser telle ou telle émission, « parce qu’on touchait des trucs sensibles ». Le sujet de la « Françafrique », par exemple, leur a valu des « pressions de potentats de l’Afrique de l’Ouest », allant même jusqu’à assigner le producteur dans des actions en justice. Heureusement ces assignations sont restées sans conséquences, « Pesnot a été sacrément bien défendu par le service juridique de Radio France. Il avait un super avocat. Et ça a toujours été débouté », précise-t-elle.
Un modèle inspirant
Patrick Pesnot fut un précurseur et un modèle pour de nouvelles générations de journalistes, car l'émission a aussi suscité des vocations comme le dévoile Rebecca Denantes. Elle se souvient notamment d'un étudiant qui lui avait écrit pour faire un stage dans l’émission, « il était étudiant en journalisme et maintenant il est correspondant au Brésil. Il fait des super papiers. Patrick Pesnot a suscité des vocations en dévoilant des affaires ».
« Rendez-vous avec X », restera pour Rebecca Denantes une incroyable expérience professionnelle, remplie de rebondissements, comme dans un bon polar. C'est surtout une rencontre inoubliable avec un grand monsieur de la radio avec qui elle partageait l’amour de l’histoire. Rebecca Denantes décrit enfin avec affection le mystère qui entourait Pesnot, ce « mec assez secret, qui ne se répandait pas (…) ». Selon elle, il aurait eu l’envergure d’un bon espion, à l’image de Monsieur X qu’il mettait à l’honneur dans son rendez-vous hebdomadaire.
SERIE DOCUMENTAIRE. Enquêtes sur la présence encore bien vivante de légendes, croyances et superstitions en tout genre dans le monde rural de la fin des années 70 en France. Selon Télérama de l’époque : "Alfonsi et Pesnot pensaient qu’en France, la sorcellerie avait disparu. Ils reviennent avec quatorze émissions. Et cette conclusion : il y a un sorcier par canton" !