Le 27 septembre 1979, toutes les éditions des journaux télévisés consacrent plusieurs minutes aux obsèques de Pierre Goldman, 35 ans, militant d'extrême gauche, braqueur et écrivain, assassiné quelques jours plus tôt en pleine rue de plusieurs balles par un commando inconnu. Des obsèques retentissantes, teintées de recueillement et de mystère où planait l'ombre de l'antisémitisme.
Ce célèbre militant d'extrême gauche des années 1960 était né en juin 1944 d'un couple de héros de la résistance juive communiste en France. Étudiant à la Sorbonne, où il militait au Front universitaire antifasciste, présidé par Alain Krivine, qui contrôlait l'Union des étudiants communistes (UEC), il prit une part active, entre 1961 et 1965, au service d'ordre de l'Unef. Militant aguerri, il obtiendra une aura de guérillero en participant pendant un an et demi aux maquis du Venezuela. De retour en France en 1967, le jeune homme trempa dans le milieu du banditisme avant d'être impliqué dans plusieurs vols à main armée et braquages, pour finalement être arrêté en décembre 1969, après le meurtre de deux pharmaciennes parisiennes. Assassinat qu'il réfutera jusqu'à sa mort. Il sera condamné une première fois à perpétuité, puis relâché à la suite d’un second procès retentissant.
L'opinion française avait découvert ce personnage charismatique empreint d'une aura romantique à l'occasion de ces deux procès médiatiques. Un résumé de cette affaire judiciaire est à découvrir dans le montage d'archives ci-dessous.
Qui est Pierre Goldman ?
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LA NAISSANCE D'UN MYTHE
Ses deux procès donnèrent au militant une aura médiatique qui explique sans doute en partie l'impact national de ses funérailles. Durant son premier procès devant la cour d'assises de Paris (du 9 au 14 décembre 1974) pour le meurtre de deux pharmaciennes, survenu lors du braquage d’une pharmacie du boulevard Richard-Lenoir, à Paris, le 19 décembre 1969, Pierre Goldman assura seul sa défense. Malgré l’absence de preuves et de témoins clés et malgré son refus de s'attribuer les deux meurtres, Pierre Goldman fut condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Le verdict, critiqué par ses amis gauchistes, allait donner naissance à un mouvement de protestation d'une ampleur inédite, avec la création d'un comité de soutien et l'organisation d'une campagne en faveur du condamné. Une pétition sera signée par de nombreuses personnalités du monde intellectuel ou artistique comme Simone Signoret, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir et bien d'autres. Ce soutien poussera la justice à remettre en question le jugement. Le 20 novembre 1975, l'arrêt de la cour d'assises était cassé par la cour de cassation en raison de l'absence de date sur le procès-verbal des débats.
Suivra un second procès en appel à Amiens un an et demi plus tard (du 26 avril au 4 mai 1976). Dans la Somme, Pierre Goldman s’adjoindrait cette fois les services de deux avocats prestigieux Georges Kiejman et Emile Pollak, tout en participant activement à sa défense. L'assassinat du révolutionnaire gauchiste, deux ans après sa libération, fut reçue comme une injustice et une provocation alors que Pierre Goldman, d’abord accusé, venait d’être acquitté des deux meurtres. Le crime fut immédiatement revendiqué par un commando inconnu, « Honneur de la police », qui entendait ainsi venger le crime impuni des deux pharmaciennes.
LES ARCHIVES.
Auréolée de sa célébrité sulfureuse, la mort de Pierre Goldman, demi-frère de Jean-Jacques, de 7 ans son cadet, bouleversa l’opinion publique. Les images diffusées par les télévisions témoignent encore de l’émotion provoquée par la disparition de ce « Che Gevara » à la française.
Entre six mille (selon la police) et quinze mille personnes (selon les organisateurs) ont suivi le cortège funéraire depuis l’institut médico-légal, quai de la Râpée jusqu’au cimetière du Père-Lachaise, où le corps devait reposer dans un caveau temporaire fourni par la ville de Paris. C’est ce que montre très bien l’archive du Soir 3 présentée en tête d’article.
Derrière le journaliste Jean-Pierre Delgado, on aperçoit une importante foule. Une trentaine d’associations, dont la Ligue de défense des droits de l'homme, la Ligue internationale contre l’antisémitisme, des syndicats et des partis politiques de gauche et d’extrême gauche, à l’exception du parti communiste et de la CGT, avaient assisté à la manifestation. Devant les caméras, on aperçoit des jeunes visages, cheveux longs, blousons de cuir, sous-pulls en tergal, casque à la main et mines défaites. Il y avait aussi les plus vieux, sans doute d’anciens soixante-huitards, également émus.
La cérémonie s’était déroulée dans l’intimité, « dans le silence », « sans couronnes ni drapeaux ». Dans le silence ? Pas tout à fait, le journaliste précisait que la salsa avait accompagné le guérillero dans sa dernière demeure : « C’est au son des tam-tams que s’achève la carrière un peu tumultueuse de Pierre Goldman », précisait-il. En effet, le défunt était un passionné de salsa et de congas. Un an avant son assassinat, cet amoureux des rythmes latinos avait ouvert dans le premier arrondissement parisien, rue des Lombards, La Chapelle des Lombards, où il passait ses nuits à boire et à jouer de la musique. Également sensible à la musique antillaise, il associait le sort des Noirs à celui des juifs. Ce jour-là un groupe caribéen lui avait ainsi rendu un dernier hommage au son des tumbas et le chanteur panaméen Azuquita, un ami, avait entonné un lamento.
Dans le 20 heures de TF1, à regarder ci-dessous, les images montraient sous un autre angle le corbillard entouré d’une foule compacte. Jean-Claude Narcy évoquait la « petite manifestation d’une cinquantaine de jeunes gens », des ultra-gauchistes, opposés aux CRS, qui avait suivi les obsèques.
Obsèques de Pierre Goldman
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L'adieu de l'extrême gauche
De nombreuses personnalités essentiellement de gauche, de celles qui l'avaient soutenues face à la justice ou fréquentées au cours de sa vie militante s'étaient déplacées : Simone Signoret et Yves Montand, Jean-Paul Sartre accompagné de Simone de Beauvoir, Costa-Gavras, Patrice Chéreau…
Le 20 heures d’Antenne 2 présenté par Patrick Poivre d’Arvor proposait d’autres images de cette journée. L'archive à regarder ci-dessous montre des plans de la levée du corps à l’institut médico-légal, le cortège impressionnant, avec de nombreux plans sur les visages des participants. Dans son lancement, le présentateur décrivait « une manifestation d’amitié de ceux qui l’aimèrent dans ses contradictions et dans sa marginalité ».
Sur d’impressionnantes vues aériennes du cortège dans les rues de Paris, Bernard Marchetti tentait d’expliquer cette ferveur : « L’assassinat de cet homme jeune à la vie turbulente, longtemps désespéré, devenu après six ans de prison un écrivain de talent suffisait sans doute à toucher le cœur de la multitude des jeunes gens qui l’ont accompagné au cimetière du Père-Lachaise, mais, soulignait-il justement, ce défilé silencieux était aussi une manifestation. Ses amis ont voulu signifier à la fois la condamnation de la violence politique à laquelle ils attribuent la mort de Pierre Goldman et leur détermination à défendre les libertés. »
Au cours de la marche des groupuscules d’extrême gauche avaient distribué des tracts, mais il n’y avait eu « ni slogans ni banderoles », précisait encore le journaliste.
Sur des plans de la pierre tombale, le journaliste ajoutait enfin que de nombreux Antillais étaient également présents au cimetière, car Pierre Goldman avait épousé une Antillaise (la journaliste et cinéaste Christiane Succab), qui venait, la veille de l’enterrement, de donner naissance à son fils.
Obsèques de Pierre Goldman
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Victime de l'antisémitisme ?
Lors des obsèques de Pierre Goldman, de nombreux participants exprimaient une colère partagée contre le fascisme et l’antisémitisme. Pour une majorité de l’opinion publique d'alors, Pierre Goldman avait été victime d’un attentat antisémite. Quelques jours avant les funérailles, le 20 septembre, l’annonce de son assassinat dans le journal de 20 heures présenté par Roger Gicquel en témoigne, le journaliste lui consacrant plus de sept minutes au total.
À l'instar des autres chaînes, le reportage diffusé ce soir-là sur TF1 brossait un portrait de la victime à base d’archives, de son engagement militant à sa dérive dans le banditisme. Il donnait la parole à des témoins du drame et à Maître Georges Kiejman, l’avocat de son second procès qui avançait l’hypothèse d’un acte commis par un groupe fasciste. Le ton était donné. On apprenait que son meurtre avait été rapidement revendiqué par un commando inconnu de trois hommes.
Le crime antisémite ne faisait aucun doute dans l’opinion publique. C’est cette thèse qui serait défendue par le présentateur du journal, abandonnant brièvement, de manière étonnante, son impartialité journalistique habituelle : « Bonsoir ! Le racisme, le fascisme, le terrorisme qui règle ses comptes. Mais quel compte ? C'est à première vue tout cela qu'il y a dans l'assassinat de Pierre Goldman, ce juif polonais né en France, comme il s'est intitulé lui-même dans le titre de l'un de ses livres. »
Après la diffusion du sujet, Roger Gicquel reprenait la parole. Un fait inhabituel. « Alors pour achever de situer ou d'essayer de situer la personnalité de Pierre Goldman, qu'on qualifie trop hâtivement de juif marginal, révolté, je voudrais vous citer un passage de son livre ». Dans ce passage du premier livre autobiographique écrit en prison, l’auteur évoquait justement la question du racisme et de l’antisémitisme.
Quelques années plus tard, d'après un article des Nouvelles littéraires en date du 26 juin 1980, Roger Gicquel avait déclaré avoir reçu des reproches de sa direction pour cette prise de position et cette lecture inédite, qui reflétait l'ambiance tendue d'alors.
Affaire Goldman : assassinat de Pierre Goldman
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Le livre d'un héros
Ce livre dont Roger Gicquel avait lu un extrait a eu une importance capitale dans la popularité du militant et dans son image de héros romantique. Si la foule s'était déplacée en masse pour ce dernier adieu à Pierre Goldman, c'était aussi en partie pour saluer la disparition d'un grand écrivain et d'un homme qui les avait touchés. Durant son incarcération, Pierre Goldman avait passé une maîtrise d'espagnol et une licence de philosophie, préparant même une thèse de doctorat en philosophie. Entre ses deux procès, il écrivit un ouvrage-clé, un plaidoyer puissant qui lui valu un immense succès. Paru au Seuil, Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France, fut particulièrement bien accueilli par la critique. Pierre Goldman y décrivait son parcours indéchiffrable et clamait son innocence avec conviction. Il se vendra à environ 60 000 exemplaires au total.
Ce livre autobiographique aurait joué un rôle majeur dans la tenue du second procès, car il instilla un véritable doute concernant sa culpabilité chez les lecteurs. Ce doute apparaissait avec évidence dans les propos du célèbre critique littéraire Claude Mauriac, visiblement remué par les confessions du truand. Nous sommes le 7 octobre 1975, dans le journal de 13 heures de France Inter. À écouter ci-dessous.
Ce livre écrit derrière les barreaux, une protestation d’innocence très détaillée, sèmera également la confusion dans la fameuse émission « Le Masque et la Plume » du 2 novembre 1975. Dans cet autre archive audio, François-Régis Bastide et Anne Pons faisaient également part de leur trouble à l'issue de leur lecture.
Innocent ou coupable ?
Quel que fut l'impact de ce livre dans la tenue d'un second procès. Le 4 mai 1976, grâce au travail de Me Kiejman qui s’était employé à démontrer la fragilité des déclarations des témoins oculaires, seuls éléments à charge, Pierre Goldman était acquitté des deux meurtres du boulevard Richard-Lenoir, mais condamné à 12 ans de réclusion criminelle pour trois autres vols à main armée.
Par le jeu des réductions de peine et de la prise en compte de la détention provisoire déjà effectuée, Pierre Goldman sortit de la prison de Fresnes le 5 octobre 1976, bénéficiant d'une mesure de libération conditionnelle, cinq mois après avoir été acquitté dans l'autre affaire. Une libération qui allait précéder la sortie de son second livre, en 1977, un roman de fiction cette fois intitulé L'Ordinaire Mésaventure d'Archibald Rapoport, écrit lui aussi en prison.
Ce second ouvrage allait, lui, jeter le doute sur l'innocence de son auteur. Le récit mettait cette fois en scène un personnage lui ressemblant étrangement. Un truand qui commettait une série d'assassinats... Était-ce un aveu déguisé ? Une interrogation sans réponse qui flottait certainement dans l'esprit de certains le jour des funérailles.
Plusieurs pistes concernant son assassinat ont plus tard été évoquées, certaines liées à la pègre d'autres à l’ETA, mais l'énigme de l'homicide n’a jamais été élucidée. Le mystère de Pierre Goldman reste entier.